Ce que la mort m'a appris
Discipline : Médecine
Cette conférence vous sera présentée par :
- Pascal Colson - Professeur émérite / PU ém
La mort est fréquente en réanimation (entre 20 et 40% en moyenne des admissions). Sa fréquence montre que malgré des progrès considérables, les techniques de réanimations sont confrontées aux limites qu’elles ne peuvent pas dépasser, même si les progrès indéniables les repoussent un peu plus chaque jour. L’évolution des pratiques, justement en repoussant les limites du faisable, augmentent l’accessibilité au moins théorique à une population de plus en plus large. Les limites imposées par l’âge (toutes extrêmes confondues), les pathologies chroniques, ont fait long feu. D’autres arguments sont mis en avant pour contester ces seuils absolus. L’autonomie, l’âge physiologique, l’indépendance contrebalancent l’âge civil, ou l’éventuel handicap préexistant d’une maladie chronique. Les traitements ont des succès réels qui ont permis d’élargir leurs indications, aux cas jugés trop déraisonnables il y a quelques dizaines d’années. Conséquence inévitable de cette évolution, la réduction de la mortalité en réanimation ne peut pas être un critère de performance ou mieux, de qualité des soins (sauf bien sûr pour comparer la performance de structures semblables pour des pathologies données). La mort fait partie de l’activité de réanimation, définitivement. Il est prévisible qu’elle le restera quelques soient les moyens mis à disposition, aujourd’hui ou demain, avec une constance désespérément invariable.
Elle est même devenue un phénomène de société, qui s’en est emparé en établissant des règles pour encadrer sa survenue, ou même l’anticiper, et favoriser l’accompagnement des mourants comme des proches. Cette mise sous tutelle ne rend pas l’événement plus acceptable pour les équipes de soins. Elle donne des repères, utiles dans ces instants éprouvant où l’esprit est bousculé par l’émotion, qui n’est pas que le fait des proches, à un degré d’intensité près. La réitération des cas a modelé les attitudes plus que les ressentis, par un apprentissage continu et protéiforme, nécessairement individuel avant d’être collectif. Cet enseignement de la vie à la limite de son horizon donne à réfléchir. La fin de vie, le passage de vie à trépas, les directives anticipées, les implications éthiques sont tous les aspects d’une seule échéance. Ils alimentent la réflexion des équipes de soins sur les fondements de leur rôle, au-delà de la compétence technique qui justifie leurs actions, indépendamment d’influence extérieure. Ce cheminement ensemble permet d’assimiler l’inacceptable avec une certaine distance, qui n’exclut pas la sollicitude.
C’est un témoignage, celui d’un acteur de soins riche d’une expérience longue auprès des patients en détresse que je propose. Le sujet n’est pas nouveau, a servi parfois de vecteur à des concepts plus ou moins éthérées (la vie après la mort, expérience de mort imminente). Ici, je respecte le mystère de la mort, je ne révéle rien de spectaculaire, même sous prétexte de bien la connaître à force de l’avoir croisée, très souvent, sur son chemin funeste vers les patients. Il n’est pas non plus une contestation de ce qui se dit ou s’écrit sur la fin de vie notamment, même s’il en prend quelques airs quelques fois, mais une contribution à la réflexion sur un sujet qu’aucune loi ne saurait clore. Mais témoigner de ce vécu hors norme, qui précède et entoure la mort, dans sa simplicité, dans son dénuement, sans artifice sacré, des malades, des proches comme des soignants. Cette aventure humaine, insolite et secrète, dans le vase clos des murs d’une unité de réanimation, est intense et édifiante, inspirante.